Conversations avec les pros

Conversations avec des professionnel.le.s


Dans ce rayon de la bibliothèque sont rangées des interviews de professionnel.le.s que j'ai la chance de côtoyer ou d'avoir côtoyés.
Ce seront principalement des créateurs (de jeux, de livres...) mais il pourra aussi y avoir d'autres professions que je trouvais intéressantes de présenter.
Ce sont des questionnaires papier : il y aura parfois des affirmations avec lesquelles je ne serai pas d'accord, ou dont j'aurais aimé discuter un peu plus avec les personnes, mais ce ne sera pas fait instantanément. Je pense que je prendrai le temps d'y revenir plus tard (notamment les mois comme celui de mai 2017 où personne n'a eu le temps de me répondre).

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[Vendredi 9 mars]
Frédéric Sintès, auteur et game-designer


Je commence par une question sur ton travail d'indépendant au quotidien : sépares-tu tes travaux de créateur de jeu de tes recherches et réflexions et publications sur le game-design ?

Les deux sont complètement intriqués : quand je conçois mes jeux, quand je les teste, quand je joue à d'autres jeux, je suis sans cesse en train de ruminer. C'est aussi le cas quand je regarde des films et quand je lis des romans, je suis tout le temps en train de réfléchir à comment reproduire une expérience, mais en préservant la potentialité propre au JdR. Je crois que je n'ai pas de bouton off pour ça. Et tout mon travail théorique est un support important pour mes créations, notamment parce qu'il m'aide à comprendre le fonctionnement des jeux auxquels je joue, mais surtout parce qu'il m'aide à avoir une vision d'ensemble, c'est-à-dire systémique, au sens des sciences sociales.


La dissociation entre théorie et pratique me semble absurde, je vois mal comment on peut progresser et s'épanouir dans une activité sans jamais prendre du recul et sans s'intéresser à ce qui se fait ailleurs. En peinture, en jeu vidéo ou en musique, la théorie est considérée comme importante depuis toujours ou presque, que ce soit pour la composition d'une harmonie, l'improvisation, l'apprentissage de la technique, pour concevoir l'interactivité, pour innover, ou pour comprendre les problématiques créatives actuelles et passées. 
Je suis convaincu que le JdR aussi a beaucoup à y gagner.

Pour ces dernières, les réflexions en game-design, comment t'organises-tu ? Quel type de recherches fais-tu ?

Alors je suis très peu organisé pour ce qui est de l'écriture d'articles, d'une part, parce que ma vie est un grand chaos, et d'autre, parce que c'est une activité 100% bénévole, donc elle passe après tout le reste. 
J'ai d'ailleurs eu un passage à vide depuis début 2016, avec une importante remise en question, mais des discussions avec notamment Fabien Hildwein  et Valentin T. m'ont remis les pendules à l'heure et permis de comprendre pourquoi j'écrivais de la théorie : pour parler de choses qui sont importantes pour moi dans la pratique et la conception de JdR et de les partager avec mes amis. Ça peut paraître naïf dit comme ça, mais mon but premier derrière la publication de mes écrits théoriques, c'est de pouvoir mettre de l'ordre dans ma bouillabaisse cérébrale, puis de la communiquer avec eux en premier lieu. À l'oral je m'embrouille, je cherche mes mots, je n'arrive pas à mener mes raisonnements à terme, tandis qu'à l'écrit, j'ai tout mon temps et c'est avec ce moyen que je suis le plus à l'aise pour expliquer le truc que j'ai perçu au cours de ma dernière partie. Je les publie parce que je crois que ça peut intéresser d'autres personnes.


Côté recherches je picore des articles de théorie depuis 2006, date à laquelle j'ai rencontré sur le web Christoph Boeckle et Romaric Briand sur le forum Silentdrift, notamment les articles issus des discussions du forum The Forge et  Anyway. Le blog de Vincent Baker, dans lesquels mes attentes et insatisfactions ont trouvé une résonance particulière. Mais j'ai aussi pas mal vadrouillé du côté de PTGPTB, j'aime tout particulièrement les articles de Christopher Kubasik qui ont l'air d'avoir compris avant tout le monde un certain nombre d'enjeux créatifs dans la conception de JdR. Je lis aussi de temps en temps les articles de Zak Smith qui est aux antipodes des forgéens. Ses analyses sont intéressantes, mais je ne suis quasiment jamais d'accord avec ses conclusions. Mais bon, c'est important d'être confronté à des idées différentes. Je lis aussi bien sûr des théoriciens francophones, comme Brand et Gregory Pogorzelski. Parfois c'est juste une conversation avec un ami ou un contact rôliste qui fait germer des réflexions.
Je m'intéresse plus timidement à des travaux sans lien direct avec le JdR, mais qui peuvent lui apporter énormément : (en vrac) des ouvrages de psychologie sociale comme La Dynamique des groupes restreints de Didier Anzieu et Jacques-Yves Martin, de théorie de la fiction comme Pourquoi la fiction ? de Jean-Marie Schaeffer ou encore Jeu et réalité de D. W. Winnicott, etc. 
Bref, je mange à tous les râteliers, dès qu'un sujet intéressant me tombe sous la main, je le mets dans ma to-read list (qui est interminable). Les réflexions découlant de ces lectures sont le matériau de base de mes articles (ainsi que celles découlant de mes pratiques, bien entendu).

Après Démiurges et Prosopopée, quel bilan tires-tu de la création et publication en indépendant ?

Un bilan mitigé : d'un côté Prosopopée a vraiment été un succès d'estime et il s'est plutôt bien vendu compte tenu de son mode d'édition. Pour Démiurges, c'est un peu trop tôt pour juger, mais les ventes ont bien démarré. 
Le modèle est bon pour ce que je recherche, dans le sens où je suis rapidement bénéficiaire et je n'ai pas à avancer de sommes d'argent importantes. De plus, dans dix ans mes jeux seront encore disponibles et ça, c'est quelque chose qui compte beaucoup pour moi.
Quand on a commencé à créer et publier des jeux indépendants sur le modèle de The Forge, à l'époque de Silentdrift, l'une des grandes questions était : est-il possible de vendre suffisamment de jeux en francophonie pour rendre ce modèle pérenne ? Et la réponse est moins évidente. Là où des indépendants américains comptent leurs ventes en milliers (voire en dizaines de milliers dans certains cas), on dépasse difficilement les ventes à deux zéros, mais peut-être qu'aucun de nos jeux n'avait jusque-là le potentiel de vendre plus, affaire à suivre.


Néanmoins, je me rends compte que je produis trop lentement pour que l'activité en elle-même soit viable. La conception d'un jeu comme Démiurges est tellement longue et exigeante qu'il me faut des années pour en venir à bout. Si je compare l'argent gagné au prorata du temps passé dessus, ce n'est absolument pas rentable.
De plus, un tel jeu a un coût d'entrée élevé en terme d'assimilation des règles et ses thématiques ont l'air de rebuter pas mal de rôlistes. Je pense que plus un jeu est difficile d'accès en terme d'univers et de thématiques et plus il devrait avoir un coût d'entrée bas en terme de temps d'assimilation et de possibilités d'appropriation. Je ne suis pas sûr que Démiurges soit équilibré à ce niveau-là.
Il faut que je fasse attention à ça pour mes prochains jeux. Démiurges a néanmoins une circonstance atténuante : c'est mon œuvre de jeunesse. Tout le travail abattu et les erreurs commises avec ce projet sont riches d'enseignements et toutes mes autres créations en bénéficient déjà.
Que l'on ne s'y trompe pas : j'aime ce jeu et j'en suis fier, et je ne me lasse pas d'y jouer et d'y faire jouer. En tant que jeu et en tant qu’œuvre, je crois pouvoir dire qu'il est très abouti. J'ai une très grande majorité d'excellents retours de parties. C'est sur le plan éditorial qu'il pèche.
C'est aussi pour ça que je défends encore et toujours l'idée qu'il faut jouer à un jeu avant de le critiquer.

Tu as dans tes cartons le jeu Les Cordes sensibles : où en es-tu dans tes travaux sur celui-ci ?

Je suis en train de retravailler le texte en vue de l'étape de relecture qui s'annonce musclée ! La conception du jeu, les tests, la rédaction, bref le plus gros est fini. L'étape d'illustration sera la partie la plus épineuse, mais j'ai déjà des pistes de travail que j'ai hâte de mettre en œuvre ! (Je ne peux pas m'empêcher de tout faire moi-même, c'est une maladie orpheline, je ne peux pas faire autrement.)
Les Cordes Sensibles est un jeu dramatique sur lequel j'ai d'excellents retours et qui provoque autant de réactions enthousiastes que de réactions épidermiques. Mais je constate que souvent, les personnes qui y jouent révisent leurs a priori. Ce qui frappe souvent, c'est que de par son fonctionnement – son système, même – le jeu s'avère très sécurisant, parce qu'il laisse chaque joueur choisir son thème et peut toujours refuser qu'on lui impose des enjeux. Ce qui permet aux joueurs d'aborder les sujets de leur choix et de vivre des émotions intenses dans une ambiance où le consentement passe avant tout le reste (ce qui est finalement assez rare autour d'une table de JdR).
En tout cas c'est un jeu qui me tient vraiment à cœur et j'espère qu'il trouvera son public.

Démiurges, Prosopopée, Les Cordes sensibles... tous sont très différents, et tous pourtant dégagent une sorte de " courant " (pour éviter la redites avec " sensibilité ") commun. Qu'est-ce qui fait ta " patte " selon toi ?

Difficile à dire... c'est vrai que je ne pourrais pas travailler tout le temps sur le même univers, comme Thomas Munier, par exemple. L'éclectisme est quelque chose de viscéral chez moi. J'ai eu beau avoir passé plus de dix ans sur Démiurges, je ne pouvais m'empêcher de travailler sur dix autres projets en même temps. Je vois le JdR comme une porte sur une multitude d'expériences nouvelles et riches de leur diversité. Et cette diversité est ce qu'il y a de plus précieux à mon avis.
Même dans les jeux auxquels je joue, je cherche de nouvelles épiphanies. C'est pour ça que j'ai du mal avec le courant des jeux pbta, parce que j'ai l'impression que l'expérience est très proche d'un jeu à l'autre, malgré leurs différences d'univers. J'ai le même problème avec les jeux classiques, car l'expérience produite tient davantage aux qualités du MJ et du scénario qu'au jeu en lui-même. Et je n'ai pas l'énergie ni les moyens de faire le tour de France des bons MJ pour découvrir de nouvelles expériences. C'est en cela que The Forge, de par les réflexions et les jeux qui ont été développés a été un formidable portail dimensionnel vers de nouvelles expériences.
Pour bien me comprendre, je considère que la nature de l'expérience dépend du système dans son ensemble, c'est-à-dire non seulement de ses règles, mais aussi de la façon dont elles sont appliquées, de la nature de la préparation de la partie, du pouvoir du MJ s'il y en a un, etc. Il ne suffit pas d'un décorum ou d'une promesse, il faut aussi les moyens pour aller vraiment ailleurs. Avec la même structure, toutes les expériences tendent à avoir la même saveur (à peu de choses près).
Des expériences vraiment nouvelles sont donc des manières de produire de la fiction et d'interagir avec elle et avec les autres participants autour de la table et qui sont capables de nous surprendre. Parfois ça donne des jeux ratés, mais quand c'est réussi, c'est comme toucher du doigt un nouveau champ des possibles.
Ensuite, je suis fasciné par une forme d'émergence très particulière en JdR, qui se résumerait par une évolution de la partie qui n'est prévue par aucun de ses participants, ni par les joueurs, ni par le MJ, ni par le créateur du jeu, mais qui est incitée par le système du jeu. Le moment où par un jeu de contrôle et de perte de contrôle des participants sur la fiction, les joueurs arrivent quelque part où ils ne seraient jamais allés d'eux-mêmes. C'est ce que j'appelle Vide fertile, et on pourrait le définir comme une sorte de sérendipité créative.


Ce sont mes deux lubies : produire des expériences nouvelles et favoriser une émergence systémique. Mes modèles en matière de JdR sont conçus de cette manière et je cherche toujours une singularité dans les expériences produites par mes jeux.
Enfin, je vois mes créations comme un moyen d'explorer des problématiques qui me prennent aux tripes, qu'il s'agisse de réfléchir à la place de l'humain dans l'écosystème (Prosopopée), ce que signifie dépasser la condition humaine (Démiurges), d'éprouver le fait de réellement se mettre à la place de quelqu'un d'autre (Les Cordes Sensibles), et bien d'autres, comme : peut-on concilier devoir et valeurs personnelles ? (Space Rônin) ou encore explorer la condition d'enfants face à la maltraitance (La Mélodie des Orphelins)...
Je ne t'avais pas dit ? J'ai en fait une quinzaine de projets en cours. Je ne sais pas si j'arriverai à tous les publier en une vie.
Je ne peux pas me satisfaire de créer un jeu comme une carte postale ou un film d'action interactifs. C'est aussi l'un des apports des jeux de The Forge : intégrer les problématiques dans le système du jeu pour permettre aux joueurs de tenir les rênes de la partie, plutôt que de les laisser au MJ.
Bien sûr, ça va à l'encontre de toute une tradition du JdR et les MJ ont tendance à voir d'un mauvais œil qu'on veuille leur retirer le rôle d'auteur de la partie. C'est un processus long de faire accepter des pratiques qui sont faites en pensant d'abord aux joueurs.

J'avais déjà signalé avec mon article sur Bienvenue à Poudlard que, comme le dit si bien Fabien Hildwein, tu arrives à très bien saisir l'essence des univers dont tu t'inspires. J'ose alors te demander si tu ne voudrais pas un jour travailler sur un jeu inspiré d'Avatar TLA...

C'est gentil ! En tout cas j'essaye. C'est vrai que mes jeux sont énormément inspirés d’œuvres de fiction existantes : Prosopopée est une adaptation à peine dissimulée de Mushishi ; Démiurges est inspiré de Fullmetal Alchemist (mais je m'en suis volontairement éloigné, parce que le côté shônen de l'animé m'ennuyait, je suis donc parti dans une structure plus dramatique) ; Les Cordes Sensibles est conçu pour jouer du Six Feet Under (entre autres) ; Space Rônin est une adaptation revendiquée de Cowboy bebop et Samouraï Champloo... 
Aussi surprenant que cela puisse paraître, les réflexions sur le JdR m'aident beaucoup à analyser les autres types de fictions ! Notamment pour analyser la structure de chaque histoire.
Pour ce qui est d'Avatar TLA, bien que j'aime beaucoup cette série animée, je n'ai pas ressenti l'envie d'en faire un JdR. Non pas que je n'y jouerais pas avec plaisir si ça existait, mais je ne pense pas être la bonne personne pour l'adapter en JdR. Les thématiques qu'il contient me remuent moins que les inspirations que j'ai citées juste avant. Je ne ressens pas l'envie de créer des épopées classiques, comme Star Wars, Le Seigneur des Anneaux etc. en JdR (bien qu'elles m'intéressent en tant que spectateur). J'ai besoin de plus d'ambiguïté morale.

Quelle lecture recommanderais-tu aux visiteurs de la Bibliothèque des Poussières ?

Je peux en donner plusieurs ? De toutes façons je n'arriverais jamais à en choisir une seule...
Depuis que je suis papa, je lis des romans pour enfants, parfois pour être sûr qu'ils conviennent à l'âge de ma fille. Et j'ai adoré Coraline de Neil Gaiman, qui explore des peurs enfantines sans se censurer comme le font spontanément la plupart des écrivains pour enfants. Et du coup c'est un livre qui parvient à angoisser même les parents. Et un roman capable de toucher autant les parents que les enfants, c'est trop rare pour passer à côté (en passant, l'adaptation en stop motion du studio Laika est formidable).
J'ai aussi un coup de cœur tout particulier pour les treize volumes des Désastreuses Aventures des Orphelins Baudelaire de Daniel Handler, alias Lemony Snicket, d'abord parce que ce sont des romans qui s'adressent aux enfants sans les prendre pour des imbéciles et ensuite, parce qu'ils abordent avec finesse toutes les questions possibles ou presque concernant les droits des enfants, en plus d'être très drôles et bourrés d'ironie. (En passant, je préfère largement le titre en VO : A Series of Unfortunate Events.)


C'est une des inspirations majeures de mon projet La Mélodie des Orphelins.
Bon, j'aurais pu recommander du Chuck Pahlaniuk ou du Alain Damasio, mais j'ai dû faire un choix. ^^
Y a-t-il une question que tu aurais aimée que je te pose ? Peux-tu y répondre par la même occasion ?
Voici la question que j'ai choisie : « Tu parles d’œuvre à deux reprises à propos de tes créations, est-ce que cela signifie que tu considères qu'un JdR peut être une œuvre d'art ? »
Réponse courte : oui sans aucun doute.
Réponse longue : J'emploie œuvre d'abord dans le sens de « Objet créé par un être vivant, manifestation tangible d’une pensée,même infime, réalisation d’un produit, fonctionnel ou non. » 
Pour ce qui est de la dimension artistique d'un JdR ou d'un autre, ce n'est pas un prérequis. Un JdR peut être créé et appréhendé dans l'unique but de se divertir et c'est tout à fait honorable. Mais des pratiques et des jeux de rôle peuvent comporter des problématiques philosophiques (Sens) et morales (Dogs in the Vineyard), une production esthétique (Nobilis), etc. 
L'article du Guardian décrivant Monsterhearts d'Avery Alder comme une expérience de l'adolescence LGBT est un premier pas vers la reconnaissance de cette dimension de notre activité.
Je considère la pratique du JdR comme étant la réalisation formelle de l’œuvre et le texte de jeu en est la partition sous forme d'une structure potentielle et d'espaces de liberté. Bien sûr, la première peut dévier du second, donc rien ne garantit qu'une problématique incluse dans le texte du jeu se retrouvera dans la partie et une problématique peut naître d'une partie alors qu'elle était absente du texte.
La partie elle-même (et son maelstrom) ne laissant généralement pas de traces, il est difficile de faire valoir sa dimension artistique, c'est pourquoi, la formalisation de son système sous la forme d'un livre de jeu (ou quel que soit son support) est sans doute le meilleur moyen pour que cette dimension du JdR soit un jour reconnue.
Alors que dans beaucoup de jeux vidéo une rupture se crée fréquemment entre le gameplay et le propos affiché, il me semble qu'il est possible (et j'en donne plusieurs exemples plus haut) de créer une parfaite cohérence entre les deux en JdR.
Enfin, encore une fois, cette dimension ne doit pas occulter les autres, mais c'est quelque chose qui mérite d'être considéré.


Pour retrouver tout le travail de Frédéric Sintès, c'est par ici.

NB : la remarque sur les auteurs jeunesse qui se censurent volontairement pour ne pas effrayer le public m'a un peu fait hurler devant mon écran. Promis, Fred, mon prochain article de littérature jeunesse sera destiné à te convaincre du contraire...

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[Mercredi 13 décembre 2017]
Solweig So, romancière, dramaturge, metteuse en scène...

Le roman de Solweig So, Les Funérailles de l'aube, est paru hier. A cette occasion je publie son interview. Et j'ai grand hâte de découvrir cette histoire ! Vivement le 1er janvier...


Théâtre (jeu, dramaturgie, mise en scène…), écriture, photographie, dessin… Tu es une artiste complète ! Par quoi as-tu commencé ? As-tu une préférence ?

J'ai toujours écrit d'aussi loin que je me souvienne, mais je n'irai pas jusqu'à dire que c'était de l'art à l'époque... Le théâtre (en jeu) et l'écriture m'ont accompagnée depuis mon enfance. Aujourd'hui, je dirais qu'ils se nourrissent l'un de l'autre. La photo, ça reste relativement occasionnel et je n'égale pas ceux qui s'y consacrent à fond.


Quant à l'écriture de théâtre, le dessin, la mise en scène, ce sont des domaines que j'ai explorés seulement plus tard (le dessin étant le plus récent des trois). C'est difficile d'exprimer une préférence, je dirais que l'écriture est celui qui me vient le plus naturellement (j'adore jouer, mais je ne me sens pas aussi "sûre" d'être faite pour ça quand je travaille à côté d'autres acteurs. Je n'ai pas ce même sentiment d'infériorité en écriture, où je me sens à ma place.) La mise en scène, j'adore et je me sens très bien, mais je n'ai jamais encore passé l'épreuve du feu (mettre en scène une pièce et faire face aux retours d'un public) donc nous verrons à ce moment-là si je me suis plantée sur toute la ligne ou si j'ai un vrai talent ! ;)

Si tu es aussi diversifiée, est-ce parce que tu penses que tes inspirations et tes sujets ne peuvent s’exprimer qu’à travers certains arts ?

Non, mais je pense que la vie ne vaut le coup qu'à travers l'art, et donc pourquoi ne pas toucher un peu à tout ? Je vois l'art d'abord comme une potentialité transformatrice, qui peut rendre n'importe quoi esthétique (au sens large) et faire vivre des expériences à son public (donc le transformer lui aussi)

Dans tes projets à venir sous peu, il y a un roman et un montage de pièce. Peux-tu nous en parler ?

Il s'agit d'un projet sur lequel je travaille depuis mes dix-sept ans, autant dire qu'il me tient à cœur. Je l'ai fini il y a un an et demi, mais j'ai eu une mauvaise expérience avec une maison d'édition qui m'a fait beaucoup poireauté (ce qui répond un peu à la question suivante), ce qui m'a retardée dans la publication. Mais c'est enfin prêt ! C'est une dystopie, un roman d'anticipation (je n'ose dire de science-fiction même si mon copain m'assure que ç'en est) qui se déroule dans quatre-cents ans, dans un monde qui pense avoir trouvé la solution pour échapper au plus grand mystère : la mort. Il suffirait d'arrêter de faire des enfants... Je vous laisse découvrir la suite vous-même, car le livre sort aujourd'hui sur The book edition !


Quant à ma pièce, disons que (en tout cas j'espère) elle relève de l'inquiétante étrangeté. Je l'ai écrite en 2014, aux Etats-Unis, en anglais. Puis à mon retour en France je l'ai traduite. Depuis un an, je m’attelle à la monter. J'ai déjà mes comédiens, une compagnie... y'a plus qu'à.

Tu as publié le roman en indépendant, sans passer par un éditeur. Pourquoi ce choix ? comment as-tu procédé ?

J'ai déjà un peu répondu, mais honnêtement, je n'avais déjà pas vraiment envie de passer par le circuit classique avant cette mauvaise expérience. J'y reviendrai peut-être plus tard. J'ai juste le sentiment que cette industrie qui tourne autour de l'idée de propriété intellectuelle et de "recettes qui marchent" est délétère pour la création. Et puis à l'époque (il y a donc un an et demi) j'avais très envie de sortir mon projet et je n'avais pas la patience d'attendre l'aval d'une maison d'édition... Ce qui rend mon histoire encore plus ironique !


Solweig So est un nom de plume. D’où vient-il ? Pourquoi écrire sous un pseudonyme ?

Je n'aime pas mon vrai nom (je trouve qu'il ne fait pas trop artiste, et en plus mon nom de famille est un prénom d'homme ce qui porte souvent à confusion) et Solweig est un prénom que ma mère aurait voulu me donner et que mon père a décidé d'apprécier... vingt ans après ma naissance (il n'aurait pas pu aimer à l'époque ?). Donc je me sens un peu Solweig. Et Solweig So, je trouve que ça sonne bien.

Y a-t- il une question que tu aurais aimé que je te pose ? Peux-tu y répondre par la même occasion ?

Nope

Quelle lecture recommanderais-tu aux visiteurs de la Bibliothèque ?

Ahhhh...
Harry Potter évidemment.
Puis Pennac, Victor Hugo, Les orphelins Baudelaire, La Signature de Toute Chose, Balzac, L’Evangile selon Biff, Orwell... (en vrac et comme ça me vient)
Je publie parfois des avis de lecture sur mon blog, pour une discussion plus poussée ;)
En tout cas, une chose qui me manque beaucoup, ce sont les cours de littérature, qui m'ont permis de découvrir tellement de pépites !


Petit mot de la fin : merci pour cette interview et à tous les créateurs potentiels qui nous lisent : lancez-vous ! C'est la plus belle des aventures.



Pour découvrir le monde de Solweig, c'est par ici : http://solweig.so/
Frais de ports offerts pour toute commande jusqu'au 15 décembre !

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[Jeudi 23 novembre 2017]
Vivien Feasson, auteur et chercheur


Qu’est-ce qui t’as amené à l’écriture de jeu de rôle ? Pourquoi le choix de ce
média en particulier ?

Je pourrais te dire que j’ai commencé à écrire assez tôt, que j’étais fan des compositions libres en cours de français et même que j’avais conçu une bande dessinée au collège, mais je n’ai jamais poussé tellement plus loin ces aspects (je n’ai par exemple jamais essayé d’apprendre à dessiner correctement). En réalité, je pense que c’est le jeu de rôle qui mène à l’écriture de jeux de rôle, si tu me permets cette quasi-tautologie.

Le rôliste, surtout s’il est meneur de jeu, passe beaucoup de temps le nez dans le cambouis, à improviser pendant la partie bien sûr, mais aussi à préparer des scénarios écrits par d’autres et même à en créer, sans parler de toutes les fois où il modifie le système du jeu qu’il vient d’acheter pour le faire mieux correspondre à ses besoins et sensibilités. Nous sommes tous des créateurs, et écrire des jeux ex nihilo n’est ainsi qu’un investissement supplémentaire venant s’intégrer dans un vaste continuum.



Pourquoi écrire en visant la publication ? J’avais déjà commis un ou deux suppléments officieux et un officiel pour le jeu Agone (qui n’avait malheureusement pas trouvé la voie de l’édition, Multisim ayant mis la clé sous la porte) quand je me suis lancé à corps perdu dans le cinéma et l’écriture de scénarios. Ce fut une entreprise dévorante et vaine, et après quelques années à ne produire que des documents intermédiaires (car un scénario n’est pas une oeuvre en soi), j’ai décidé de me lancer dans un projet que je maîtriserais de A à Z, avec un illustrateur que je choisirais, financé par souscription. Je me suis tourné vers le jeu de rôle puisque c’était le domaine que je pensais connaître le mieux, et parce que celui-ci connaissait alors une véritable libération dans sa forme et ses moyens de production avec l’apparition de petits formats, notamment avec les éditions John Doe qui montraient clairement la voie à suivre. Exit les pavés de 600 pages en couleur !

J’ai l’impression de répondre à côté, mais bien sûr on écrit pas du jeu de rôle comme on écrit un roman. Disons que j’ai l’impression parfois de faire ça par facilité, qu’un roman me demanderait plus d’efforts et de temps pour un résultat plus incertain...

Les Errants d’Ukiyo, Perdus sous la pluie… Les deux univers (j’inclus Libreté
dans le second) sont très différents : quelles ont été tes sources d’inspiration ? Pourquoi ces sujets ?

Pour les Errants, je me suis découvert comme plein de rôlistes une passion pour le Japon avec la première édition de Legends of the Five Rings, que j’ai renforcée avec le cinéma d’Akira Kurosawa, découvert dans un festival à Clermont-Ferrand. On est au fond dans la même histoire décrite plus haut : j’ai commencé par bricoler le jeu et puis, frustré par l’aspect très “samouraïs & étiquette” du jeu, j’ai voulu créer le mien, où l’on jouerait non plus la noblesse honorable mais des ronins, des prostituées, des exclus dans un Japon “près du sol”. J’ai repris le système d’Herowars qui avait changé ma vision du jdr (mais dont j’ai voulu “réparer” les défauts, bidouillage encore), emprunté une certaine approche pasticheuse à Final Frontier d’Emmanuel Gharbi (éditions John Doe donc, disais-je), et me suis lancé.

Pour le Rainyverse et donc Perdus sous la pluie, il y a plusieurs influences : je n’y ai pas joué mais la simple bande-annonce du jeu vidéo Rain, avec ses gosses sous la pluie poursuivis par des chiens invisibles, m’a suffisamment marqué pour que je la revendique. Et puis il y a sans doute certains livres pour enfants, avec pour protagonistes des gosses qui en prennent plein les dents comme les Sally Lockhart de Philip Pullman. C’est une littérature qui me prend aux tripes, avec ces héros plein de courage mais étouffés par toutes sortes de carcans physiques et sociétaux.



Pour que le tableau soit complet, il faudrait que j’ajoute des problématiques (voire des problèmes) d’ordres personnels que je ne peux dévoiler ici ; je me contenterai de dire que je suis persuadé que l’adulte que nous montrons au monde cache en fait l’enfant que nous ne cessons jamais d’être. Nous ne sommes pas prêts, pas sûrs de nous, et nous nous sentons bien souvent très seuls. Malgré toutes les barrières que nous dressons et tous les codes de bonne conduite que nous mettons en place, nous vivons en réalité dans un monde extrêmement dur ! Bref c’est ce que je crois, et je voulais faire un jeu qui exprime ce sentiment. A ce titre, Libreté est tout à fait dans la continuité, et explore les même thématiques mais avec des outils plus poussés.

Si je devais terminer sur le lien qui unit des jeux apparemment si différents : je pense que tous les jeux qui me viennent en tête traitent de personnes en marge, en souffrance, des espèces de héros anti-héros. C’est une dimension que j’aime pouvoir explorer en jeu, cette intériorité, et je trouve dommage de devoir toujours la sacrifier au nom du scénario.

Allez savoir, peut-être que ce ne sont que des jeux de post-adolescent auto-centré...

Les trois jeux ont été publiés selon des modèles économiques
différents. Quel bilan en tires-tu ?

Un bilan mitigé. D’un côté, j’ai le sentiment que ces jeux ont rencontré leur public, et les retours que j’ai des joueurs me font extrêmement plaisir. Concernant l’aspect économique en revanche, puisque c’est de ça qu’on parle ici, c’est beaucoup moins réjouissant.

Les Errants d’Ukiyo a été tiré en trop peu d’exemplaires (200) et a bénéficié d’une promotion très réduite (ce qui semble lui avoir donné un côté “culte”, avec des joueurs qui le découvrent sur le tard), on peut compter à peu près autant d’euros de gagnés pour moi.

Perdus sous la pluie est sans doute le jeu le plus “rentable” puisque c’est un titre court, qui a demandé un temps de conception réduit et a utilisé des œuvres tombées dans le domaine public. Là, on touche presque à 900 euros je pense, pour 190 exemplaires vendus (c’est grossièrement arrondi), mais ce n’est possible que parce que je n’ai aucun illustrateur ou relecteur ou autre à payer



Il est encore tôt pour Libreté, mais je me rends bien compte que les débouchés sont très restreints. Les calculs sont très compliqués, mais disons pour simplifier que je touche 20 % de chaque livre vendu, à part le kit de démo qui rapporte pas grand chose, mais que ça ne compte pas pour les livres vendus via le financement participatif (les 300 premiers) car ils servent à payer les illustrations, la maquette et la relecture. Or sortis des grosses machines med-fan, on peut compter sur 300 ventes quand on a de la chance, 500 si on fait péter les scores, et si on touche 1000 je pense qu’on peut sabrer le vrai champagne. Pas de quoi toucher in fine ne serait-ce que l’équivalent d’un mois de loyer !

On a de plus pas mal reproché au jeu d’avoir assez peu d’illustrations, mais de mon côté je regrette déjà énormément d’avoir dû payer mes collaborateurs aussi peu, compte tenu de leur engagement ! J’ai par contre eu énormément de plaisir à travailler avec des personnes vraiment super motivées, très intéressantes, bref ça c’était cool. C’est juste trop prenant quand à côté tu dois gagner du vrai argent pour vivre.

Bref le problème, c’est le marché du jeu de rôle, à la fois saturé en termes de productions, et réduit en nombre potentiel d’acheteurs, ce qui limite fortement mes ambitions actuelles. Il faut espérer que la dynamique (youtubers, boîtes d’initiation, etc.) continue, que le jeu de rôle devienne plus répandu, et trouver de nouveaux moyens de se faire connaître. Sinon tant pis, je reviendrai au bricolage de jeux du commerce. A moins de percer aux U.S.A., mais franchement ça me paraît assez peu probable !

Tu fais également de la recherche en linguistique et en traduction, de l’anglais au
français, sur les univers merveilleux, d’heroic-fantasy. Pourquoi ce choix de genre
romanesque ?

J’ai toujours aimé la fantasy. Je suis le rôliste type : Tolkien, Moorcock, les romans D&D, les Livres dont vous êtes le héros, et puis le jeu de rôle. Il m’est arrivé de me distancier vis-à-vis de la fantasy, de me lasser, mais je finis toujours par y revenir. Vous me mettiez devant La Roue du Temps il y a quelques mois, et je retrouvais à nouveau ce souffle de l‘aventure pas tout à fait oublié. Je sais pas pourquoi.



Paradoxalement, si je fais des jeux sur des anti-héros en souffrance, je crois que j’aime plus que tout l’étincelle d’héroïsme, de pureté, qui subsiste au fond d’eux ; je la cache sous une couche de crasse, mais elle est bien là.

On attend maintenant un prochain projet de jeu, ou d’écriture . Qu’as-tu dans
tes cartons dont tu pourrais faire un peu la bande-annonce ?

Justement, j’aimerais écrire une campagne d’heroic-fantasy, ou plutôt de dark fantasy. Je n’ai pas du tout le temps en ce moment (à cause de cette thèse que je traîne depuis cinq ans), mais j’ai toujours en toile de fond cette idée d’un groupe d’adultes parti chercher leurs enfants disparus (vous savez, ceux de mes jeux précédents) et se retrouvant dans une sorte de monde med-fan bien sombre mais qui leur offre bien plus de possibilités qu’une réalité endeuillée sur laquelle ils ont perdu prise. Un genre de Narnia mais avec des adultes.

Après j’ai aussi des projets pour Libreté, que j’aimerais ne pas laisser sur le bas-côté. Une version avec des pilotes de robots géants, un supplément permettant de jouer les débuts de la forteresse...

Y a-t- il une question que tu aurais aimé que je te pose ? Peux-tu y répondre par
la même occasion ?

Oui ! “Eh mais attends, tu pilles Apocalypse World pour Libreté et tes futurs projets semblent repomper Donjons & Dragons sans vergogne… Je croyais que l’indépendance c’était l’originalité, il se passe quoi tu n’as plus d’idées, tu veux faire de l’argent ?”

A quoi je dirais que t’es un peu dure, avant de répondre : je pense que ne crois plus autant qu’avant à la vraie super originalité de l’artiste génial. C’est une chose à laquelle je m’accrochais pas mal pendant ma période “The Forge”/Perdus sous la Pluie, je découvrais la Cellule, l’indépendance, le system does matter, le propos, ça partait dans tous le sens. Et puis bon j’ai un peu vieilli. Par exemple, j’ai commencé ma thèse en me disant “je vais réhabiliter les grands noms de la fantasy” avant de me diriger peu à peu vers quelque chose de plus humble visant à rendre compte d’une pratique culturelle plutôt que de la juger ou de la sauver. Et puis j’ai eu un enfant, ce qui m’a obligé à me décentrer un peu c’est-à-dire à aussi vivre au service de quelqu’un d’autre.



Je me rends compte que l’art est finalement moins fait de types incroyables bouleversant tout que de répétitions et de variations - c’est notamment ce qui fait le succès d’un genre littéraire. En jeu de rôle, j’ai commencé à comprendre la scène “Old School Renaissance” (O.S.R.) qui bidouille inlassablement Donjons & Dragons pour créer quelque chose à la fois de neuf et de très humble, donnant à chacun les outils pour faire sa propre tambouille et favorisant une certaine interopérabilité. J’ai enfin vu se développer en France les théories sur les joueurs et les joueuses, portées notamment par le blog “Je ne suis pasMJ mais…”, qui remettent en question la position centrale des règles ou du MJ sans pour autant céder à la facilité. A trop faire reposer de choses sur une belle machine parfaitement huilée, on a fini par oublier qu’il y avait plein d’autres éléments qui faisaient un jeu de rôle, des éléments échappant à nos livres et nos systèmes et sans doute tout aussi importants sinon plus.

J’ai l’air de dévier là, mais en fait les deux arguments se rejoignent : s’il y a de la beauté dans la variation, et si de toute façon le livre n’est pas le jeu, alors bidouiller des mécaniques déjà existantes devient acceptable. J’utilise ce que d’autres ont fait pour apporter ma touche, tout comme ceux qui jouent à mes jeux les utilisent pour apporter la leur. On est dans une grande chaîne créative sans un maillon génial pour surplomber le tout, et où tout le monde dialogue d’une façon ou d’une autre. Si l’un d’entre nous faire n’importe quoi, les autres morflent certes, mais ils ont aussi la possibilité de compenser. L’échec d’une partie est une responsabilité collective, sa réussite aussi.

Alors je te rassure, je reste malgré tout un foutu égocentrique qui expose aussi ses propres blessures dans ses jeux et voudrait faire un *$%ain de livre magnifique - genre une oeuvre d’art complètement barrée -, mais il y a ce nouvel élément en moi.

Quelle lecture recommanderais-tu aux visiteurs de la Bibliothèque ?

Tout Philip Pullman, mais c’est un peu trop facile, ce serait comme dire Le Seigneur des anneaux ou Harry Potter, je ne dirai pas ces noms, non non non, peu importe qu’ils occupent une place si importante. Ni ne mentionnerai Amanda et les amis imaginaires aux fans de romans pour la jeunesse.




Allez j’ai envie de recommander Les Lions d’Al-Rassan de Guy Gavriel Kay. C’est sans doute moins de la fantasy que du roman historique, mais ça n’a pas les lourdeurs explicatives de ce dernier. Au contraire, on est dans un cadre épique mais très bien délimité, avec un cadre minutieusement réaliste mais riche en retournements, des personnages à la fois crédibles et en même temps super typés, du genre à suivre leurs convictions jusque dans la tombe. Il faut absolument que je lise ses derniers romans.



Pour découvrir les univers de Vivien Feasson et acheter ses œuvres, c'est par ici : Contes et histoire à vivre...

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[Samedi 21 octobre]
Morgane Reynier, auteure de nouvelles, de poèmes et de jeu de rôle

Si j’ai bien compris, tu as commencé par l’écriture de nouvelles avant le jeu de rôle. Comment ta création a-t-elle évolué ?

J’écris des nouvelles et des poèmes depuis très, très longtemps. Je ne les ai jamais diffusées pendant des années. Et puis j’ai rencontré la Cellule et tous ces auteurs de jeu de rôle.
C’était une autre façon de raconter des histoires. Une manière de laisser s’échapper les idées pour qu’elles prennent vie entre les mains d’inconnus. Si mon premier jeu, Chrysopée, est épistolaire, je crois que ce n’est pas pour rien. Ce jeu est une transition assez logique entre mon plaisir d’écrire et mon plaisir de jouer !
Mais je reviens doucement à mes anciennes amours. Après avoir élaboré quatre ou cinq concepts de jeux (dont deux sont publiés à l’heure actuelle et deux autres en phase de travail), j’ai repris la rédaction de contes et d’histoires.
Le jeu de rôle m’emmène à présent sur un chemin inverse : je travaille avec des amis à un roman web collaboratif dont j’espère pouvoir tirer un jeu Grandeur Nature (GN) dans les années à venir.
Pour un auteur, la tentation du contrôle complet d’une aventure et la joie de la confier corps et âme à d’autres que soi, sont les deux pôles d’un aimant. On aimerait être Dieu et laisser son monde évoluer de lui-même.


Donc finalement, la première chose que j’ai publiée a été un jeu de rôle. Ça m’a donné l’envie et le courage de proposer des textes à mes lecteurs. Un texte est peut-être plus personnel car il n’est pas modifiable. Vous le soumettez entier, avec toutes vos tripes.
Pourquoi écrit-on ? Pour qui ? Pour quelle(s) raison(s) souhaite-t-on soudain inviter d’autres que nous à prendre part à un univers ?
Je crois que ce que je préfère, c’est l’art de la suggestion - mon archétype est barde, ça ne fait aucun doute. Sentir qu’une idée qui vous anime peut embraser aussi d’autres esprits est une chose étonnante. Mais ce qui est réellement fascinant, c’est quand cette idée vous revient libre, indépendante, différente de ce que vous envisagiez et qu’elle vous apprend des choses auxquelles vous n’aviez pas pensé. La façon dont des sensibilités différentes s’accaparent une proposition pour en faire ce qu’il leur parle est une forme de dialogue d’une infinie richesse.
On n’a pas fini d’explorer les liens entre l’écriture et le jeu.


Si mes souvenirs sont bons, tu exerces aussi une profession en rapport avec l’Histoire. Peux-tu nous en parler ?

Je suis guide-animatrice sur un chantier d’archéologie expérimentale. Cela fait 20 ans que mes collègues construisent un château avec les techniques du XIIIe siècle et qu’ils font partager l’aventure aux visiteurs du site de Guédelon (en Bourgogne).
J’aime infiniment le patrimoine immatériel. La transmission de choses intangibles, de visions du monde, de sensibilité, est un challenge passionnant. Il s’agit de changer le rapport au savoir. En faire un moment de plaisir, de découverte de l’environnement et des cinq sens, d’enracinement dans le réel. On apprend en écoutant, mais aussi en touchant, en regardant, en goûtant… On se reconnecte aussi à la réalité de la connaissance : une texture, une température, une vibration, un parfum. Tout ce rapport de l’homme à son univers intérieur (poétique, symbolique) et extérieur est une source de réflexion permanente. Guédelon m’a appris que l’homme, lorsqu’il passe trop de temps loin de la nature, perd quelque chose d’important, une forme d’empathie avec le vivant. Je ne pourrais pas décrire mieux cette intuition qu’avec l’expression : une forme d’identité chamanique.
C’est aussi incroyable de travailler avec les enfants. On les regarde faire, et on comprend beaucoup de choses sur la façon dont l’éducation peut déployer ou brider une personnalité. L’importance de la confiance et de l’autonomie, la façon dont un milieu social nous façonne, la possibilité de se « révéler » dans l’environnement qui nous est adéquat.



Quel a été ton parcours (scolaire et personnel) pour arriver à ces métiers ?
J’ai toujours aimé raconter des histoires. J’aime le pouvoir des mots, les images qui naissent de l’imagination, les vies parallèles que l’on s’invente pour explorer l’inaccessible. J’ai fait du théâtre aussi. J’aime bien ce rapport de complicité entre un acteur et son public.
Vers seize ans, j’ai assisté à mon premier festival de reconstitution historique. Les intervenants étaient passionnés. Passionnants. Je découvrais l’histoire sous un angle ludique et sensoriel tellement enrichissant que je me suis dis « je veux faire ça ! »
Après une prépa option cinéma, je suis entrée en fac de Médiation culturelle pour poursuivre ce projet d’adolescente. J’y ai découvert la sociologie, la discipline m’a enchantée, et je me suis spécialisée dans les musées et patrimoine. En parallèle j’ai commencé le jeu de rôle Grandeur Nature. J’ai travaillé à Cluny tout en participant un peu à des associations de reconstitution médiévale. Le Moyen-Age a ceci de fascinant qu’il est entouré de mythes populaires depuis des siècles, au point qu’il est devenu un fantasme historique. Il est aussi bien plus riche et diversifié qu’on ne pense souvent.
J’ai fini mes études, j’ai cherché du travail pendant un an et demi et finalement, j’ai atterri à Guédelon. C’est à peu près à cette époque que j’ai découvert la Cellule, les amis du jeu de rôle et que j’ai commencé à m’intéresser au game-design. Depuis, je n’ai jamais lâché mes trois cordes favorites : l’histoire, le jeu et la sociologie.
Lorsque tu crées, y’a-t-il un thème, une ambiance qui te revient souvent à l’esprit ou que tu affectionnes particulièrement ?
Le voyage est sans doute le thème qui passe par la majeure partie de mon travail. C’est plutôt paradoxal car je ne suis pas une grande voyageuse mais « le chemin », qu’il soit spatial ou spirituel, est sans doute le motif qui revient le plus souvent. Un ami m’a dit une fois que je lui évoquais « une sorte de Dante au féminin ». Même si je ne comprends pas tout ce qu’il a voulu mettre dans l’expression (très flatteuse), elle m’a marquée parce qu’elle mêle exploration et poésie. Et c’est sans doute ce que qui est le plus profondément ancré dans mon parcours.
J’aime l’idée qu’une frontière ne soit jamais une limite mais plutôt une invitation à la curiosité !
Il serait intéressant de faire des études de texte des ouvrages d’un auteur de jeu ! Un peu à la façon de Bachelard (qui explore les motifs élémentaires chez certains auteurs), on apprendrait beaucoup du jardin secret de l’écrivain. Je suis définitivement « air » : le ciel, les étoiles et le vent sont mes montures de prédilection, même si avec le temps et la vie en forêt, je redécouvre le plaisir de l’arbre et de la végétation… Mais que ce soit les nuées ou les sous-bois, ils sont toujours « une porte » vers quelque chose, quelque part.



Tu as choisi un modèle économique que je qualifierais à la fois de risqué et de courageux. Peux-tu nous réexpliquer ta démarche et tes motivations ?
Le fait que j’auto-publie des livres en passant par un imprimeur « local » plutôt que par une plateforme comme Lulu est un choix que j’espère un peu éthique. Et qualitatif. Copy Media est vraiment un super partenaire de travail et le résultat me plait toujours. C’est risqué, parce que coûteux. Mais ce n’est pas très courageux de ma part : ça le serait vraiment si je décidais d’en vivre -et à mon avis, dans le contexte actuel, ce serait tout bonnement impossible. Mon emploi salarié me permet d’avoir du temps pour monter des projets et des moyens financiers pour proposer des choses un peu « hors cadre » : typiquement, des jeux imprimés en France, pas trop chers, dans des formats peu conventionnels (c’est-à-dire, peu adaptés au marché).
Chrysopée a été une incroyable surprise. Plus de 350 jeux vendus quand je n’espérais pas dépasser la centaine. L’idée que le jeu ait pu plaire me suffit car je n’ai pas besoin d’en vivre. Alors du coup, le prochain à sortir sera sans doute un CD - parce que !
J’espère juste pouvoir continuer à sortir des sentiers battus avec mes joueurs. Tenter des trucs. Tant mieux si ça marche ! Tant mieux si cela donne des idées ! L’aventure me donnera toujours l’occasion de réfléchir et c’est ça que je préfère. Après, financièrement, ce n’est pas extraordinaire mais je ne fais pas cela pour gagner de l’argent. Même s’il est important d’avoir conscience de la valeur de son travail, et c’est sans doute la chose qu’on est le plus mauvais à estimer….


Tu as écrit aussi des nouvelles et des haikus, envisages-tu d’en publier sur papier comme tes jeux ?
Pour mes nouvelles et mes haikus, j’aimerais passer par des éditeurs. Notamment parce que beaucoup de mes projets gagneraient à être illustrés et que les éditeurs peuvent proposer de vrais contrats de travail à leurs graphistes et illustrateurs. Et parce que j’aime les beaux livres ! J’ai écrit une longue nouvelle sur deux félins samouraïs. Dans mes rêves les plus fous, leur aventure est un film d’animation. Commençons par le livre ?

Je viens aussi de finir un recueil de contes autour des signes du zodiaque. Je n’ai pas eu le temps d’envoyer les manuscrits mais d’ici quelques semaines, je pense me lancer dans le grand bain avec mes textes sous le bras. On verra bien !


A propos de haïkus, j’avais rencontré un puriste spécialiste de culture japonaise qui disait qu’en écrire en français était une absurdité, un non-sens. Qu’aurais-tu à lui répondre ?

J’ai une amie japonophone qui pense la même chose des haïkus en français. Je trouve cette position tout à fait justifiée, en réalité. Une langue a une identité, et la façon dont elle est construite raconte quelque chose d’un rapport au monde. C’est comme la calligraphie arabe : la poésie et la langue sont étroitement liées. Il manquera toujours quelque chose dans un haiku en français : l’âme de la langue japonaise.
Mais il n’empêche que j’aime ce format court, cette philosophie de l’instant, cette façon de capter l’intangible et d’anoblir le quotidien en trois petits vers. La magie dans le rien, ou la magie du rien. Peut-être que ce ne sont pas des haikus à proprement parler. Mais je plaide coupable !


On est en octobre, alors si on parlait d'Harry Potter ? J'ai bien envie de te demander quelle place à l'oeuvre dans ta vie ?
J'ai découvert Harry Potter grâce à ma mère, par les romans d'abord. Comme beaucoup d'enfants, j'avais l'âge des héros et j'ai grandis avec eux. J'adorais les livres, même si j'ai mes tomes préférés.
Ce qui m'a sans doute le plus marqué, c'est que la magie était finalement quotidienne, logée dans les petits détails de la ville ou du quotidien plus que dans de grandes démonstrations fantastiques. J'adorais le Chemin de Traverse et la maison des Weasley, où cette magie se faisait un nid dans les gestes de tous les jours : le tricot magique, la vaisselle magique... Elle s'incrustait sans forcer dans les livres, les tavernes, les journaux et le monde, soudain, devenait juste ce qu'il fallait de plus merveilleux.
Lors d'un voyage à Londres, on s'est fait la réflexion que cette ville était faite pour accueillir la magie. Les vieilles devantures de pub avaient l'air de raconter une autre histoire que celle d'un fish and chips. On aurait cru pouvoir croiser n'importe quoi de fantastique en poussant une porte !
Petite, bien sûr, j'avais ma maison favorite et je découvrais ce sentiment d'appartenance au groupe que les anglo-saxons développent beaucoup. On se construisait dans ces archétypes scolaires et relationnels.
Mais la force d'Harry Potter; c'était le fait qu'il était aisé de faire de la magie : il suffisait d'apprendre, comme n'importe quel devoir, et d'aller faire ses courses chez Ollivander. Il y avait un côté extrêmement tangible dans le merveilleux dont on pouvait s'emparer avec une simple lettre cachetée à la rentrée. Ce n'était pas ridicule ou kitsch. Ma magie faisait partie de la trame de la vie, comme un fil brillant parmi d'autres, avec ses succès et ses échecs.
Et qu'importe qu'on rate son contrôle de maths, si on était capable de citer les noms de tous les dragons ? On était des écoliers dans un autre genre : de ceux qui aiment apprendre des choses qui n'existent pas mais qui font rêver.
Et je crois qu'en grandissant, cette magie de tous les jours est restée accrochée dans mon esprit. " Un certain regard ", comme dirait l'autre !


Y a-t-il une question que tu aurais aimé que je te pose ?
Et maintenant que je t’ai répondu, y’a t-il finalement une question en plus que tu voudrais me poser ? 😉

Vous pouvez découvrir les œuvres et l'univers de Morgane Reynier ici : http://www.rosedesventseditions.com/




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[21 septembre 2017]
Romaric Briand, philosophe et auteur indépendant

·Tu as récemment réadapté ta vie professionnelle au rythme de ta vie personnelle, on en reparlera juste après. Avant ce changement, comment s'organisaient tes journées ?


Dans le chaos le plus total. Je courrais dans tous les sens pour gérer les contraintes du quotidien (m’occuper de mes enfants, faire le ménage, les courses et m’occuper de ma maison) et quand je trouvais une heure de temps, je me consacrai à la rédaction de Sens ou au montage d’un podcast. Pour ne rien te cacher je réponds à cette interview entre les biberons et les cris de bébé.



·Et maintenant ? Tu consacres plus de temps aux podcasts, mais pas forcément de façon quotidienne, c'est cela ?

C’est cela. En réalité, j’ai toujours réservé mon jeudi au montage du podcast, à sa publication et à la rédaction du texte qui l’accompagne. Je partage aussi les actualités de mes amis indépendants. Je ne consacre pas plus de temps au podcast. J’ai décidé de maintenir ce jeudi pour le podcast au lieu de le consacrer à l’écriture. J’ai donc choisi de privilégier le podcast sur mon travail d’écriture en maintenant ce jeudi pour lui au lieu de consacrer ce temps à la rédaction de mes jeux.


·Quel a été ton parcours (scolaire et personnel) pour arriver à ton métier ?

J’ai fait une faculté de Philosophie. Après mes études, je suis devenu professeur de Français, de Math et de Philosophie pour une association, de façon bénévole dans un premier temps. Puis, je suis devenu professeur à domicile à temps plein pour une boîte privée. Suite à une décision de justice, l’entreprise qui m’embauchait a été liquidée. Je me suis retrouvée au chômage. C’est pendant cette période que j’ai décidé de me lancer dans l’écriture de jeux de rôle. J’ai conservé quelques élèves au départ et quand le succès est venu j’ai progressivement arrêté de donner des cours.



·Nous avons souvent parlé ensemble du " propos ", ce qui te tient le plus à cœur quand tu crées, ou quand tu explores une œuvre (que ce soit un jeu, un film, un livre, etc.). Peux-tu nous réexpliquer ce que tu entends par là ?

Le propos, c’est simplement ce que tu cherches à montrer à travers ton œuvre ou ton travail. On sait tous que les mots ne suffisent pas. Le langage permet de dire beaucoup de choses, mais les choses les plus importantes ne peuvent pas se dire. Ces choses-là, les humains cherchent à les montrer à travers un travail, un œuvre, une activité politique, etc.


·Envisages-tu de créer autre chose, sur un autre média que le jeu de rôle ?

Bien sûr ! Nous en avons déjà parlé. Je crée un podcast hebdomadaire. Ces podcasts, eux-aussi, véhiculent de nombreux propos. Je vois chaque émission de La Cellule comme l’occasion de montrer quelque chose et tu sais comme ils sont liés à mon travail d’auteur et de philosophe. Quand on veut montrer quelque chose, il faut choisir le médium qui convient.


·Y a-t-il une question que tu aurais aimé que je te pose ? Peux-tu y répondre par la même occasion ?

Non. Je veux répondre aux questions que tu me poses. Je me pose à moi-même bien assez de questions.



·Quelle lecture recommanderais-tu aux visiteurs de la Bibliothèque ?

Le Tractatus Logico-Philosophicus de Wittgenstein est trop ardu pour les néophytes, alors je conseille généralement la lecture des Carnets 14-16. Mais, prenez garde. Quiconque commence la lecture d’un livre de Wittgenstein doit lui trouver une issue.


·Le mot du jour de la semaine ?

Le Jeu.



Pour écouter et soutenir les podcasts de La Cellule, acheter les jeux de Romaric Briand, c'est par ici : http://www.lacellule.net/ .




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Mélanie Farjon, enseignante et dessinatrice BD

Comment s'organise ton travail d'enseignante au quotidien ? Et d'auteur de bande dessinée ? Sur lequel des deux passes-tu le plus de temps ?

Je fais d'abord passer l'enseignement en premier, autrement je me retrouve vite débordée, et cela se ressent dans mes cours si je les délaisse. Lorsque j'ai moins de travail, ou que c'est moins pressé, je me consacre alors à mes bandes dessinées (je suis en ce moment dessus presque à temps plein, avec l'approche des grandes vacances).[1] J'y passe donc moins de temps, mais je passe beaucoup de temps à côté à réfléchir à mes histoires, personnages, etc, et cela parfois même au collège !


Quel a été ton parcours (scolaire et personnel) pour arriver à ces deux métiers ?

Les deux sont reliés bien sûr à l'art, étant professeur d'Arts Plastiques. Depuis ma toute première BD en primaire, que je conserve précieusement, je ne me suis jamais arrêtée. J'ai pris des cours auprès d'un professionnel en Bande Dessinée, et celui-ci m'a donné envie de continuer, mais aussi d'enseigner ma passion. En grandissant, j'ai vu que ces ateliers (pour adultes et enfants) ne me permettraient pas de vivre correctement, j'ai donc fait passer la BD en arrière-plan. Pourtant, j'ai tenté à l'Université de la mettre en valeur, mais mes professeurs ne la voyaient pas d'un bon œil. J'ai obtenu le CAPES pour devenir enseignante, et j'ai basé entièrement mon mémoire de première année dans l'enseignement sur la Bande Dessinée auprès des adolescents. Ma soutenance réussie, j'avais réussi à montrer à mes professeurs le rôle qu'elle peut avoir, autant pour des élèves que pour des adultes.
Finalement, je savais qu'enseigner me permettrait d'avoir assez de temps pour moi et mes BD.




Quand tu dessines, y a-t-il des thèmes qui te tiennent à cœur ? Des techniques ?

Les thèmes qui me tiennent à cœur restent toujours le fantastique. Depuis quelques temps, je me base sur la mythologie nordique, que je revisite. J'ai toujours aussi aimé l'histoire, autant l'architecture que la mode, et j'aime faire voyager mes lecteurs à travers le temps (aussi bien durant l'Antiquité que dans le futur d'ailleurs!).
Je travaille toujours à la main. Je réalise la couleur à l'aide d'aquarelle, et de feutres à alcool très pratiques ! Je finalise et retouche à la tablette graphique. J'ai toujours préféré faire essentiellement à la main.

Quels sont tes dessinateurs (ou autres créateurs " plastiques ") de prédilection ? Qui t'inspirent le plus ?

François Schuiten et Benoît Peeters

Mes auteurs préférés sont justement ceux qui réalisent leurs œuvres à la main, comme Guarnido, l'auteur de la génialissime BD Blacksad, ou bien Mathieu Bablet. Mais au niveau graphisme, j'ai toujours aimé Alessandro Barbucci, qui a un style qui a l'air de mélanger le manga avec les BD occidentales. Sinon, comme claques visuelles, les auteurs Peeters et Schuiten sont inévitables.


Quels thèmes ou séquences d'arts plastiques préfères-tu aborder ? Y a-t-il des exercices que tu aimes particulièrement faire faire aux élèves et si oui pourquoi ?

J'aime beaucoup aborder l'abstrait narratif avec mes élèves. Je fais avec eux aussi beaucoup de BD, et tout ce qui touche au mouvement ou point de vue me passionnent au niveau enseignement. Je suis beaucoup plus à l'aise dedans, car tous touchent de près ou de loin à la BD.


Y a-t-il un niveau, une tranche d'âge à laquelle tu préfères enseigner ?

Difficile à dire honnêtement. Je préfère l'énergie et l'imagination des élèves de 6èmes, vite passionnés par ce que je donne à faire. Mais j'aime aussi beaucoup les 3èmes, qui montrent plus de rigueur dans leur travail, plus de minutie. Si on pouvait mettre le grain de folie des 6èmes dans un 3ème très soigneux, ce serait parfait !


Y a-t-il une question que tu aurais aimé que je te pose ? Peux-tu y répondre par la même occasion ?


Guarnido, Blacksad

Peut-être...pourquoi aimer la Bande Dessinée tout simplement ?
Enfant comme adulte, elle me fait rêver, voyager. J'aime aussi beaucoup les romans, et les détails qu'il renferment, contrairement à une BD. Ces dernières se lisent en une heure pour une cinquantaine de pages, contrairement à un roman. C'est ce que je déplore. Comme les films, je pourrais aussi dénoncer le fait qu'ils freinent l'imagination (offrir l'image sur un plateau plutôt que de construire cette image dans son esprit, cela semble tout de suite plus facile). Mais c'est pour cela que je ne lis pas forcément une BD par rapport à son scénario. J'ai déjà essayé. Même si l'histoire est incroyable, si je n'accroche pas au style graphique, voir pictural, je me braque et stoppe ma lecture. Je préfère une BD renversante à voir comme à lire, où chaque détail devient merveilleux, où la relire est comme retourner au musée voir un très beau tableau. Après tout, une BD passe bien à travers les yeux.


Quelle lecture recommanderais-tu aux visiteurs de la Bibliothèque ?


Deux BD de l'auteur Mathieu Bablet :
La première en deux tomes qui m'a fait découvrir cet auteur : Adrastée, une incroyable histoire d'un roi immortel qui traverse la Terre pour rencontrer les Dieux de l'Olympe et comprendre pourquoi il ne peut mourir. Les morales sont magnifiques, et les paysages sont les plus détaillés que j'ai vu. Il y a assez peu de texte, et on profite bien de son voyage.
Et la dernière en date a été dans la sélection officielle du Festival d'Angoulème, Shangri-La, une contre-utopie se déroulant dans l'espace. Je préfère mettre le résumé du quatrième de couverture, qui balance tout de suite dans l'ambiance : « L'espace infini. L'Homme et Tianzhu Enterprises. Tianzhu TV, TZ-Phones, Tianzhu-Tab, Tianzhu Fitness, Tianzhu Burgers, Tianzhu immobilier, Tianzhu Bank....Le monde est parfait car Tianzhy Enterprises veille à votre bonheur. »
Je crois que tout est dit...


Le dessin de la fin ? :)

Ma tête devant toutes ces questions :


(Je plaisante ;-) )



Vous pouvez aller voir le travail de Mélanie Farjon ici : https://www.facebook.com/Les-Carnets-de-Last%C3%A8ne-1027638487355425/




[1] L’interview a été réalisée fin juin, à l’approche des grandes vacances.




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[18 juin 2017]

Fabien Hildwein, auteur et chercheur

Pourrais-tu commencer par te présenter et présenter ton parcours ? Qu’est-ce qui t’a amené à écrire ? à faire de la recherche ?

Quelques semaines avant d’avoir dix-huit ans, j’ai découvert Baudelaire par hasard – premier éblouissement. Dans l’année qui suit, j’ai fait de plus en plus de rêves où je marchais dans un désert rouge, où j’explorais des mers sombres, où je visitais de vieux cimetières marins ensoleillés. C’est de cette impulsion initiale que m’est venue l’envie d’écrire : explorer les images qui s’imposent à moi, par la poésie, le sommeil ou le rêve éveillé. Vers la fin de mes études en école de commerce où je m’étais égaré, je me suis rendu compte que je pourrais les faire vivre à travers la création de jeu de rôle et, depuis bientôt dix ans, je poursuis cette envie grâce à mon label L’Alcyon.

Le label de Fabien Hildwein

Grâce à plusieurs groupes de rôlistes (Silentdrift puis Les Ateliers Imaginaires qui ont chacun fermé, aujourd’hui sur Courants Alternatifs et surtout grâce à la communauté du podcast de La Cellule) j’ai participé aux débats sur l’indépendance comme modèle économique et éditorial viable pour des jeux audacieux et sortants des sentiers battus.
Professionnellement, je suis enseignant-chercheur en gestion. Ma thèse portait sur le groupe activiste La Barbe qui dénonce l’absence de femmes en haut des organisations à l’aide de performances innovantes et symboliques. Alors que le jeu de rôle représente un travail intérieur, mon activité professionnelle me donne le sentiment de contribuer à la société dans laquelle je vis, notamment auprès de mes étudiants. Entre les deux, je trouve un équilibre entre mes aspirations intimes et mes convictions politiques.


Y a-t-il un thème dans tes écrits qui te tiens à cœur, et que tu cherches à explorer ? Si oui, pourquoi ce thème ?

Je ne crée pas mes jeux au hasard, je ne cède pas à toutes les impulsions créatives qui me viennent, je sélectionne au contraire beaucoup mes projets, sans doute trop. Pour autant, je serais bien en peine de définir quelle est cette cohérence que je poursuis.

La couverture du jeu de rôle Sphynx, publié par Fabien Hildwein en 2015

Elle a à voir avec la transcendance : politique dans Monostatos, culinaire dans La Saveur du Ciel, métaphysique dans Sphynx. Depuis quelques temps, je n’ai plus peur de me dire que je mène un travail spirituel à travers la création (et en général dans ma vie), dans le sens où je tente de progresser en profondeur, en tant qu’être humain, pour être plus serein, plus créatif et plus empathique. Il me semble que j’ai toujours poursuivi ce chemin, mais que j’en ai pris conscience que récemment.
Cette cohérence touche aussi à la question de la communication. Je reste terrifié par l’isolement dans lequel nous sommes en tant qu’êtres humains. Le langage ne transmet que les idées les plus triviales. Les sentiments profonds, nos vérités profondes restent inaccessibles. Comment savez-vous que votre voisin n’est pas un robot vide ? Occasionnellement, dans les moments de grâce, le jeu de rôle semble capable d’affaiblir cette barrière et de nous permettre de nous toucher à cœur, de parler de ce qui importe vraiment.


En quoi consiste ton travail d’écriture au quotidien ? Comment s’organisent tes journées ? Peuvent-elles être très variables ?

Je traverse une période très intense professionnellement et personnellement, et je ne dispose que de peu de temps pour écrire ; je me rends bien compte combien c’est une piètre excuse, mais c’est malheureusement le cas. Je n’« écris » pas au sens où je ne développe pas de projet littéraire régulier, mais j’accumule quotidiennement de nombreuses notes de lecture, des idées de jeu de rôle, des analyses de rêves, des remarques intimes. L’écriture est un moyen, dans les interstices, de respirer et de se décharger de cette activité, pour lui permettre d’avancer. J’éprouve beaucoup de difficultés, surtout ces temps-ci, à faire preuve d’une vraie discipline de travail comme le recommandent tant d’auteurs, à écrire régulièrement – que l’on soit content ou pas de son travail. J’écris plutôt par pulsion, un texte me vient et je le couche sur le papier lorsque j’en ai la disponibilité. Je regrette aussi de commencer de nombreux projets d’écriture et de n’en finir qu’une petite partie.


Tu te consacres surtout à l’écriture de jeux de rôle, écriras-tu d’autres formes d’œuvres dans l’avenir ? Lesquelles et pourquoi ?


C’est une question que je me pose. J’ai compris ces dernières années que le jeu de rôle n’est pour moi qu’un médium et que je ne cherche plus à participer à ses débats théoriques ou éditoriaux : j’ai trouvé la voie et la place qui m’y conviennent. Je continue à explorer les possibilités du jeu de rôle pour deux raisons. D’une part, parce que j’y trouve une communauté de personnes qui comprennent ce que je cherche à faire et que je ne m’imagine pas créer seul, sans interactions avec d’autres créateurs et intellectuels. D’autre part, parce que – comme je l’ai déjà tellement exprimé ailleurs – le jeu de rôle n’est pas exploité à son plein potentiel. Malgré les avancées depuis une quinzaine d’années, il reste un médium jeune et toujours focalisé sur des univers spécifiques et des types d’histoires particulières : il n’explore même qu’une petite fraction des cultures de l’imaginaire auxquelles il fait référence ! Parce qu’il est interactif et convivial, parce qu’à travers le Vide fertile il peut toucher l’âme des participants, parce qu’il demande si peu de ressources matérielles, le jeu de rôle est un médium d’avenir, qui peut ouvrir des vraies voies intellectuelles et spirituelles, au même titre que la littérature ou le cinéma.

La Saveur du Ciel, jeu publié par Fabien Hildwein en 2014

Je ne renie pas les plaisirs de la littérature, mais écrire me semble toujours être une activité trop solitaire pour moi, dans laquelle je m’enlise trop vite dans mes doutes et mes exigences. Peut-être qu’en m’intégrant à une communauté d’écrivains je pourrais développer cette dimension, mais ce n’est pas le cas ici.


Y a-t-il une question que tu aurais aimé que je te pose ? Peux-tu y répondre par la même occasion ?

« Quel est le rôle de l’écriture dans le développement d’un jeu de rôle ? »

C’est une question difficile, parce qu’elle interroge ce qu’est un jeu de rôle. Je me suis souvent battu contre les jeux de rôle se limitant à un beau livre rempli d’histoires et auquel on a – par habitude – accolé un système de règles bancal. L’œuvre d’un jeu de rôle, c’est les parties qu’il produit (avec le moins possible d’efforts de compensation, en particulier de la part du meneur), pas le livre lui-même ! Donc j’éprouve une méfiance initiale pour les textes en jeu de rôle, surtout lorsqu’ils promettent des situations que le jeu ne permet pas de produire (sauf à le tordre et à compenser constamment).
Mais j’admets aussi qu’il y a une part d’un jeu de rôle qui ne peut se transmettre que par l’écriture, pas par les règles ou les notes d’intention, quelque chose qui touche à l’ambiance de l’univers, aux présupposés inconscients du jeu et aux directions que l’auteur veut nous donner. Ça peut tenir en quelques lignes, inutile d’en faire des quantités. Dans Monostatos, le jeu dont je reste le plus content à l’heure actuelle, j’ai fait un important travail d’écriture pour suggérer tout ceci et inspirer les meneurs à créer leurs propres canevas dans cet univers – je ne pense pas y être vraiment parvenu, mais je reste heureux de cet expérience et j’espère pouvoir la renouveler dans mes prochains jeux.


Pour finir, quelle lecture recommanderais-tu pour les semaines à venir aux visiteurs de la Bibliothèque, et pourquoi ?


Le jeu des perles de verre de Hermann Hesse est une œuvre difficile, mais très profonde, née de l’Allemagne de la première moitié du XXe siècle, décrivant la quête spirituelle d’un intellectuel au sein d’une utopie pessimiste d’érudits contemplatifs. Au centre se tient la pratique du jeu des perles de verre, dans laquelle les œuvres humaines sont mises en relation et en harmonie, reflétant les résonances esthétiques qu’elles nous procurent. Tout en plaidant pour un épanouissement de l’âme humaine (c’est un lecteur de Nietzsche et un patient de Jung) et une réforme des sociétés humaines, il n’a pas la fatuité de s’imaginer que ce soit possible ou même de croire que ça puisse être une solution à nos problèmes. J’aime cette posture, qui tragiquement ne recule pas devant l’échec de ses propres espérances. C’est le genre d’œuvres qui font vibrer l’esprit et l’âme obscurément, sans qu’on puisse expliquer ce qui nous fait ainsi briller et brûler sourdement. Il faut lire Le Voyage en Orient, du même auteur, qui accompagne et éclaire cette œuvre maîtresse.

2 commentaires:

  1. Un problème de mise en page sur le site fait que les interviews précédentes sont complètement bouleversées. Je vous prie de m'excuser, j'espère avoir réglé le problème d'ici ce soir.

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